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Le texte de ces chants funèbres est l'adaptation d'Olivier Proust, d'un manuscrit du XIIIe siècle, intitulé Krakumal, "Poème de Kraka" (corneille en islandais : surnom d'Asland, femme de Ragnar Lodbrock).
DU FOND DE L'EMPIRE DES MORTS
Je tiens pour juste qu'on s'affronte d'homme à homme, que jamais le guerrier ne recule devant le guerrier.
Il y a peu d'années, nous sommes allés combattre le serpent géant sur la terre des Goths et mon épée frappa, tailla, trancha le reptile...
Mais Thora fut mon salaire et pour cet exploit les guerriers m'appelèrent Lodbrock...
Lodbrock.
Sonne l'acier de l'épée.
Dans le détroit d'Eirar, jeune, j'étais encore quand nous fîmes couler un fleuve de sang où s'abreuvèrent les vautours, où festoyèrent les oiseaux aux pieds jaunes.
Comme une blessure saignante l'eau était rouge où nageaient les corbeaux.
Sonne le fer de la lance.
Déjà au sortir de l'enfance je brandissais tout haut l'épieu et déjà le glaive frémissait dans mes mains.
Dans l'embouchure du Thina tombèrent huit Jals puissants. L'aigle y trouva sa pâture, la sueur pleuvait sur une mer de sang et la faux d'Hela sans cesser s'abattait.
LA ROUTE LONGUE DES COMBATS
Nombreux furent mes exploits.
Nous envoyames les hommes de Helsings au palais d'Odin.
Nous remontâmes le cours de l'Ifa.
Alors l'épée entrait au plus profond des chairs.
Et le fleuve roulait des flots de sang.
Et la terre fumait rouge de ce sang.
Et les glaives se brisaient contre les cuirasses.
Et tombaient les boucliers sous la force des coups.
Nombreux furent mes exploits...
Je me souviens... Aucun guerrier ne cessa le combat avant que Herrauth fut tombé mortellement blessé.
Et hacun se souvient. Jamais plus noble roi n'a moins redouté les rochers, jamais depuis que nos vaisseaux sillonnent la route des cygnes.
Ainsi les boucliers étaient jetés à terre.
Ainsi la hache brisait la masse de fer.
Ainsi les lances s'enfonçaient dans le sein des guerriers.
Et quand le roi Rafn tomba, les armes dégouttaient de sang et la sueur chaude ruisselait du front des guerriers.
Nombreux furent mes exploits.
De loin on entendait les armes s'entrechoquer.
De loin on voyait les rapaces tournoyer au-dessus de la bataille.
Alors le roi Eistein succomba dans la plaine d'Ullar.
Le glaive lançait les éclairs de la mort.
Le glaive perçait les boucliers et fendait les casques.
Et les cranes ouverts répandaient leur cervelle sur la terre vermeille.
Puis, c'est près de l'ïle d'Innthur que se rassasièrent les corbeaux et le coursier de Fala, le loup de la géante.
Sous la lumière du soleil tous nous étions braves et tous égaux en courage.
Tous nous avons frappés du glaive.
Devant Borguntharholm nous avons trempé nos lances dans le sang, traversé de nos flèches volantes les mailles des cuirasses.
Et Volmir, le plus puissant des rois de la mer, celui qui sema de cadavres le sol des rivages, Volmir tomba au champ d'honneur.
Puis le roi Freyr aussi tomba dégouttant de sang en terre de Flemingia.
Et Haugni le brave qui vit la pointe bleue de l'acier transpercer sa cuirasse.
Ce matin là Hild pleura les proies déchirées par les loups.
Nous avons frappé du glaive.
Près d'Arenglane j'ai vu des montagnes de cadavres sur le pont des navires.
A Barthafyrth nos armes firent couler tant de sang qu'il ne restait rien pour abreuver les vautours.
Sur les rivages de Hiathning nous avons joué aux jeux de Hild.
Dans les plaines de Northumra une grêle d'acier s'abattait sur les crânes et s'écroulaient les guerriers.
Grincent les arcs.
Volent les flèches.
Coule la sueur.
Les épées fouillent les blessures.
Six jours entiers nous combattimes.
Six jours entiers au milieu des lances frémissantes, écrasant les casques et brisant les cuirasses.
Le septième enfin quand le soleil revint éclairer la bataille, il n'éclaira que des morts.
Et ce jour était aussi beau que celui où ma fiancée avait abandonné sa bouche à mes baisers.
Nous avons frappé du glaive.
Dans les îles du Sud, Herthiof triompha de nos héros et Ragnvalth tomba sous la tempête d'acier.
Jamais jour ne fût aussi fatal aux nôtres.
A Vestrafirth les cadavres tombaient en masse sur la masse des cadavres.
Et riche fût le festin des corbeaux.
Aux premières lueurs de l'aube, la faux des batailles traversa la poitrine de mon fils.
Egil est le nom de celui qui arracha la vie à mon fils Agnar l'intrépide.
Egil est son nom.
Frappe du glaive.
Dans la baie de Skada, tant de héros fidèles à leur serment jetèrent tant de cadavres aux requins que le pont des navires ruisselait de sang.
Devant l'île de Linthis nous défiâmes trois rois.
Grossissent les vagues de l'océan, des corps des Iris et s'éloignent les rapaces gavés de tant de proies.
A Alasund aux premières lueurs du matin je vis s'éteindre le héros à la belle chevelure.
Mon coeur battait de joie comme si une coupe du meilleur vin m'aurait été offerte par Hild la déesse.
Puis à la tombée du jour je vis le roi Oern tomber.
Alors ce jour me parût aussi beau que celui où la déesse elle-même se serait offerte à mes baisers.
Frappe, frappe du glaive.
De longs siècles ne feront pas oublier le combat de l'île d'Onlug.
Frappe, frappe du glaive.
Skada, Linthis, Barthafrith, Arenglane.
Arenglane.
Pourquoi la mort n'est-elle pas plus proche du guerrier qui se jette sur l'épée ennemie.
Car celui qu'elle épargne regrette d'avoir trop vécu.
Ainsi je sais qu'il est juste qu'on s'affronte d'homme à homme, que jamais le guerrier ne recule devant le guerrier ; et celui qui a mérité l'amour d'une vierge se lance hardiment dans la mêlée.
ALORS QU'APPROCHE LA MORT
Nous avons frappé du glaive.
De même je sais que nous sommes esclaves du destin, que nul ne peut enfreindre ses décrets.
Mais savais-je au temps où je versais mon sang, où mes navires chevauchaient les vagues, où dans les mers de Skotland je laissais tant de cadavres aux requins, savais-je qu'un jour Ella serait maitre de mon sort.
Nous avons frapé du glaive.
Maintenant je sais que le héros ne se plaint pas de sa mort dans le palais du père des mondes et qu'il ne se présente pas à sa porte plein de désespoir.
De même je sais que le père de Balder m'a réservé un siège dans la salle des festins et je sais la joie que j'aurai à boire de la bière dans le crâne de mes ennemis.
Nous avons frappé du glaive.
Que chacun sache que la mere que j'ai donné à mes fils leur a transmis un coeur vaillant.
En apprenant les tourments qui me déchirent quand mille serpents enfonçent leurs dards venimeux dans ma chair, que chacun sache le cri de leur combat et la douleur qui jaillera de leurs épées.
Que chacun sache enfin qu'à la paleur de leurs visages montera le rouge de la colère et qu'ils n'auront point de repos qu'ils ne m'aient vengé dans le sang d'Ella.
Ils frapperont du glaive.
Ils cogneront de lla hache.
Ils frapperont du glaive.
CHANT FINAL
La morsure des vipères est mortelle, elle m'envahit.
Cinquante et une fois j'ai planté ma bannière sur les champs de bataille.
J'appris au sortir de l'enfance à rougir ma lance.
Je ne craignis jamais de voir mes guerriers trouver un chef plus vaillant.
Je meurs et ne suis pas à plaindre.
Maintenanat les Ases m'invitent à leur festin.
La morsure des vipères est mortelle, elle m'envahit.
Il faut finir.
Voici les Dysirs qu'Odin envoie pour me conduire à son palais.
Je m'en vais boire de la bière avec les Ases à une place d'honneur.
Les heures de ma vie se sont écoulées et mon sourire brave la Mort.
Les heures de ma vie se sont écoulées et mon sourire brave la Mort.
Musique : Patrick Alliard
Interprète : Olivier Proust
- Genre
- Saga de Ragnar Lodbrock