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sur un texte de Marcel Proust (Albertine Disparue, III)
voix : Vincent Bouchot
Ensemble Cairn :
Flûte : Cédric Jullion
Clarinette : Ayumi Mori
Guitare : Christelle Séry
Alto : Cécile Brossard
Violoncelle : Pablo Tognan
Prise de son : Sébastien Naves
Enregistré en concert le 19 mai 2016 au Théâtre d'Orléans
Nous sommes au troisième chapitre de l’avant-dernier roman de la Recherche, Albertine Disparue, au moment où Marcel, le narrateur, se rend à Venise avec sa mère. Le jour venu du retour à Paris, il manifeste le désir (contrarié, incertain, comme souvent) de laisser sa mère rentrer seule pour prolonger le séjour de son côté. Il se poste face au Rialto et se fait servir une consommation en terrasse pour se donner le temps de la réflexion : partira-t-il ou restera-t-il à Venise ? Il entend alors un gondolier entonner l’air de la célèbre chanson napolitaine O Sole mio. D'abord incommodé, Marcel se laisse peu à peu glisser dans cette expérience d'écoute ambiguë. La chanson exerce l'attraction d'un chant de sirène qui pétrifie, fige la conscience dans l'éternel retour du même, le refrain de la rengaine, la « phrase » toujours recommencée. Elle plonge son auditeur dans un temps cyclique qui s'oppose au temps linéaire des heures de départ de train. Loin de réfléchir à la décision qu’il doit prendre, Marcel se surprend à suivre le déroulement de l’air, à le « chanter mentalement », à entrer en « sympathie » avec lui ; tout cela ne faisant que différer le moment du choix. Or, ne pas choisir, c’est choisir implicitement de rester, c’est rendre acceptable le trop littéral « je ne pars pas » par le figuré « je vais entendre encore une phrase de Sole mio ».
Cet épisode de la Recherche est ici représenté sous la forme d'une « scène d'écoute » pour chanteur, petit ensemble et électronique. Assis à sa table, au micro, le chanteur joue ici le rôle d'un conteur : sa voix oscille entre le parlé et le chanté, à la façon d'un Sprechgesang ; son récit est parsemé de moments d'écoute, tendus vers l'environnement électronique diffusé dans la salle. Créées par la recomposition d'enregistrements préalables d'O Sole Mio, ces sonorités électroniques figurent un soundscape vénitien imprégnées des résonances déformées de la rengaine populaire. Peu à peu, le chanteur interrompt son récit pour fredonner une, puis deux, puis trois notes d'O Sole Mio, jusqu'à ce que la chanson, devenue obsessionnelle, submerge et recouvre sa parole. L'écriture instrumentale prend alors le pas sur l'électronique, figurant la lente mais irrésistible transformation de la « vulgaire romance » en véritable « chant de désespoir ».
- Genre
- Contemporary / Classical / Electronic